J’ai posé quelques questions à David Fayon (www.davidfayon.fr) à l’occasion de la sortie de son dernier livre “Informez-vous !” (voir https://urlr.me/azWRP2 ).
Sommaire de l'article
Interview de David Fayon “Informez vous !”
1. Est-ce que tu pourrais te présenter ?
Le mieux reste encore de recourir à Google. ;-)
Pour faire simple, je suis tombé dans la potion numérique et y suis resté.
Que ce soit dans mes formations reçues puis dispensées ou conférences, mes fonctions diverses en entreprise ou de consultant, le PPCM est le numérique mais avec une approche holistique à la fois pour avoir une vision et aussi être pragmatique quant à l’utilisation des solutions au quotidien.
En effet, il est nécessaire de combiner la technique avec les aspects économiques (que l’on a par exemple pour la création d’une start-up : à quel problème je réponds, comment et pour quels résultats), juridiques, historiques et sociaux.
Je publie chez L’éditeur à part mon 13e livre “Informez-vous !” alors que nous sommes saturés de données, vraies ou fausses, factuelles ou non, humaines ou générées par des IA, neutres ou orientées, etc.
Il est plus que jamais nécessaire d’avoir une profondeur historique et critique et du jugement qui se forge au fil du temps.
Qui n’a pas été piégé par une fake news ou une deepfake par exemple ?
J’ai également lancé Numérikissimo (www.numerikissimo.fr), annuaire des Top acteurs du numérique français :
Nous préparons activement et collectivement la 2e édition avec un passage à l’échelle et plus de 200 personnalités.
Oui, je suis convaincu que le numérique change profondément la société, permet de faire des actions plus rapidement, différemment, a une nature disruptive à certains égards et sous le triple prisme automatisation, dématérialisation, désintermédiation d’une part.
D’autre part, il s’agit de la transformation digitale (voir cette interview) proprement dite avec ses corollaires et ses conséquences : omnicanalité, client au centre, données au cœur, etc. avec des entreprises traditionnelles qui doivent se repenser et se disrupter elles-mêmes (processus, organisation interne plus plate, plus réactive avec moins de silos, évolution de leurs business models, de leurs produits et services notamment) pour ne pas se faire ubériser/kodakiser.
D’un point de vue plus sociétal, je revendique un numérique souverain pour que la France (et l’Europe) puisse exister face à l’omnipotence américaine et chinoise, inclusif avec une juste utilisation entre outils numériques et complémentarité avec les actions dans la vie physique pour ne pas tomber dans la cyberdépendance.
2. Tu effectues une comparaison entre les données et l’énergie. Pourrais-tu nous en dire plus ?
Effectivement, les besoins en énergie ne font que croître et ce malgré de nouvelles sources tout comme les données.
Dans les deux cas, il est intéressant de noter un point commun troublant : 7 étapes.
Dans le schéma suivant issu du livre “Le monde sans fin” de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici nous avons connu plusieurs sources d’énergie, depuis le bois, en passant par le charbon, le pétrole jusqu’au solaire et à l’éolien.
Les énergies arrivées ensuite n’ont pas remplacé les énergies primaires et la quantité d’énergie produite n’a fait que croître, induisant une pollution et un rejet de CO2 différencié selon les types d’énergie de surcroît.
Il en va de même avec l’information depuis les transmissions orales avec les premières civilisations en passant par l’écrit, les médias puis Internet, les réseaux sociaux et désormais les IA génératives hautement consommatrices en données et qui délivrent des résultats, non pas exacts mais probabilistes.
Il appartient à chacun de gagner dans ses techniques de prompt.
Concrètement préciser le rôle que l’on occupe (par exemple community manager, chargé de marketing digital), l’action que l’on souhaite (créer un mél commercial, bâtir une fiche produit avec ses caractéristiques, produire un résumé ou une analyse), le style souhaité (professionnel, créatif, empathique dans le cadre d’une relation de service client), le format généré (tableau, liste, diagramme, carte heuristique, etc.).
Les sources sont multiples et l’infobésité règne avec un doublement de la quantité de données produites sur Terre toutes les lois de Moore, c’est-à-dire typiquement tous les 2 ans.
3. Quels sont tes conseils pour bien s’informer sur le contexte actuel ?
Je donne à la fin du livre “Informez-vous !”, telles les tables de la loi, 10 conseils pour mieux s’informer.
Ceci vaut à la fois dans le contexte professionnel que dans le cadre personnel.
On le constate avec une porosité accrue entre les deux sphères depuis la crise de la Covid, l’explosion du télétravail et le passage d’une obligation de moyens à une obligation de résultats.
Concrètement et pour faire simple, il s’agit de varier ses sources d’information et ne pas hésiter à suivre des comptes (sur X, LinkedIn, ailleurs) avec des idées différentes des siennes.
Ceci est utile dans le cadre de la veille et de l’intelligence économique.
C’est ensuite la méfiance face aux informations d’autant plus qu’avec les IA génératives il est aisé de créer des deepfakes.
- Se fixer des limites de temps pour chercher des informations ou des plages horaires, et en même temps s’abonner à des sources pertinentes pour que l’information sur des sujets thématiques correspondant à vos centres d’intérêt en entreprise viennent à vous
- Construire des alertes sur des mots clés allant au-delà du simple outil Google Alerts,
- Ne pas considérer le résultat produit par une IA générative comme argent comptant mais comme une base de départ à un travail repris par l’humain lequel doit être challengé.
- S’abonner à des newsletters bien choisies, considérer la veille comme un processus évolutif en fonction de ses besoins et de son propre apprentissage
- Ne pas hésiter à donner pour recevoir ou indiquer si une information est erronée ou obsolète, etc.
Les lettres de noblesse d’Internet sont de participer à la création d’une intelligence collective supérieure, ce qui impose à chacun de privilégier la qualité à la quantité et surtout le partage éclairé et vérifié.
4. Pourquoi allons-nous vers une permacrise, quels sont les principaux facteurs ?
Nous sommes passés d’un monde déterministe à un monde VUCA (volatile, incertain, complexe, ambigu).
VUCA est un acronyme forgé dans les années 1990 par l’armée américaine, repris ensuite en entreprise pour décrire un environnement instable.
Ou même BANI (fragile, anxieux, non linéaire, incompréhensible).
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Brittle (fragile) : tout semble solide mais peut casser brutalement (ex. : chaînes logistiques).
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Anxious (anxieux) : montée de l’anxiété individuelle et collective, face à l’imprévisibilité.
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Non-linear (non linéaire) : les effets sont disproportionnés par rapport aux causes ; les réactions sont imprévisibles.
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Incomprehensible (incompréhensible) : même avec les données, on ne comprend plus ce qui se passe ; surcharge d’infos, IA boîte noire.
BANI est un acronyme proposé par Jamais Cascio, en réponse au sentiment que VUCA ne suffisait plus à décrire la réalité post-COVID, post-climat, post-IA…
Le principe est de miser sur la transparence, la capacité d’adaptation émotionnelle, l’intuition, et la résilience humaine et organisationnelle.
Il convient de décider et d’agir dans l’incertitude, ce qui peut être source de stress.
D’autant plus que les données, le nouvel or transparent, suivent la règle des 7V du big data :
- variété,
- volume,
- vitesse,
- véracité,
- valeur,
- visualisation
- variabilité.
Dans ce contexte la maîtrise de l’information est clef.
Ceci suppose un grand discernement.
Il ne s’agit pas en entreprise de reconduire les budgets des directions d’une année sur l’autre ou d’appliquer uniformément un même taux de réduction.
La sagesse conviendrait d’analyser ligne par ligne et d’avoir des hausses et des baisses nuancées même si globalement la tendance est baissière.
Nous avons vécu la pandémie de Covid, la guerre en Ukraine qui est loin d’être terminée.
Nous avons des défis à résoudre pour la transition énergétique qui pourrait être appréhendée différemment que « taxer, interdire, punir, culpabiliser » alors même par exemple que si nous diminuons nos émissions de CO2 de 30 % en France, ceci serait effacé par une hausse de 0,6 % par la seule Chine !
Jouer collectif ou réaliser des partenariats inter-entreprise sur des standards ou des solutions communes ne doit pas exclure la vigilance.
La caractéristique commune reste la peur et la restriction des libertés in fine si on n’y prend garde.
Nous sommes en effet passé du « N’ayez pas peur ! » du Pape Jean-Paul II à « Nous sommes en guerre » lors de la pandémie, ce qui était anxiogène et un brin machiavélique.
Sous couvert de transition écologique, il devient facile de recourir à des interdictions.
Il en va de même avec une monnaie numérique qui serait selon le narratif la solution miraculeuse pour lutter contre les trafics de drogue.
Gardons en tête la chanson d’Alain Souchon et de Laurent Voulzy, Oiseau malin, car à force de trop taper sur les mêmes, certes on a le moins de mécontents possibles mais le risque est une apparition de « gilets jaunes au carré » qui n’ont pas grand-chose à perdre ou même une révolte demain de cols blancs face à l’ubérisation induite par les IA génératives.
Aussi dans le domaine professionnel, il convient d’être particulièrement vigilant, outre le risque de burn out avec aussi la profusion de données qui est facteur de stress, celui de la grande démission ou de la démotivation en l’absence d’une question du sens et de vision insufflée par un manager leader.
Dans ce cadre, la formation permanente, l’accompagnement du changement restent cruciaux.
Ceci peut passer aussi par des webinaires, des tutoriels, de la transversalité entre les équipes aux cultures différences mais aussi des moments de partage et de convivialité.
Nous avons aussi à veiller à la diversité qui est au premier rang celui d’une plus grande équité dans la représentation des femmes et même des hommes dans certaines professions plus féminisées (la communication, le marketing, l’enseignement en maternelle et primaire par exemple), et au deuxième selon de la représentation de toutes les générations, 20, 30, 40, 50, 60 ans et plus ce qui permet de voir un problème sous plusieurs angles et aussi d’être vigilant quant à toute fracture numérique ou d’usage.
Les autres diversités arrivent ensuite.
5. Quelles seraient les 2 ou 3 mesures phares pour commencer à y faire face ?
Nous avons plusieurs niveaux, celui de l’entreprise, celui de l’Etat, celui personnel.
Chaque citoyen peut agir à son niveau, déjà au niveau de sa famille, de son entourage proche.
Et au sein de l’entreprise en étant force de proposition et en allant au-delà des objectifs de sa fiche de poste.
Tout en les réalisant, il est possible de créer de la valeur additionnelle en étant force de proposition pour améliorer un processus, l’analyse de données, d’observer des corrélations, de suggérer une étude marketing pour anticiper un phénomène à venir ou un signal faible.
Même un conseiller dans un centre d’appel peut avoir un rôle proactif.
Ensuite, ce que je répète à savoir être acteur de ses propres données, personnelles et celles sur lesquelles on a un impact en entreprise, ce qui commence par la qualité et la fiabilité des informations, leur saisie et leur mise à jour, leur contextualisation, éventuellement leur durée de vie car certaines sont permanentes, d’autres éphémères.
Certaines données deviennent sensibles même si elles n’étaient pas imaginées ou dans l’esprit de la loi Informatique, fichiers et liberté du 6 janvier 1978, à savoir la géolocalisation.
Pour les armées, les désactiver est un devoir car de nature à offrir un renseignement à l’ennemi.
Pour l’entreprise cela passe par des chartes sur les données qui vont au-delà de ce qui existe sur la pratique des seuls outils numériques et des réseaux sociaux.
Et aussi un principe de bon sens, ne pas brider les accès à des outils en entreprise (comme ChatGPT) car une interdiction peut être contournée par l’utilisation de son PC ou smartphone personnel générant des situations ubuesques.
6. C’est quoi le diagramme d’Ishikawa, et comment cela aide à trouver des vraies solutions aux problèmes ?
Il s’agit d’un diagramme qui revêt visuellement la forme d’arêtes de poisson et élaboré par un Japonais qui travaillait dans la gestion de la qualité en entreprise.
Le problème est représenté par la tête – du reste l’adage dit que le poisson pourrit toujours par la tête – et les principales arêtes représentent les différentes causes potentielles du problème à résoudre (méthodes, matériels, main-d’œuvre, milieu, matières).
Ensuite chaque arête secondaire détaille des sous-causes spécifiques.
Il s’agit d’un outil d’analyse et d’exploration des origines possibles d’un problème, d’un dysfonctionnement. Il permet une réflexion qui peut être collaborative en entreprise pour résoudre un problème.
Ensuite, en remontant à l’origine du problème et en le résolvant à la racine tout peut être résolu.
En effet, que ce soit dans les entreprises comme dans les administrations ou même dans le domaine médical où l’on a une approche par organe et non global, on a trop tendance à soigner les conséquences d’un problème que l’origine du problème lui-même, ce qui induit une complexification, une perte d’efficacité. Or parfois faire simple peut s’avérer efficace.
7. Enfin, quelles sont les compétences clés à avoir dans la société de l’information ?
Je les résume dans “Informez-vous !” par le diagramme des savoirs.
Outre les fondamentaux toujours utiles (lire, écrire, compter) même si on a tendance à se reposer sur la machine, smartphone et PC inclus, les trois savoirs du XXIe siècle sont
- l’anglais,
- le numérique (qui suppose la compréhension du fonctionnement des algorithmes des plateformes,
- les aspects juridiques pour l’utilisation des données y compris multimédia, les concepts du codage, etc.)
- l’esprit critique face à la profusion de données.
L’information a toujours été synonyme de pouvoir.
C’est encore plus le cas aujourd’hui avec une nouvelle fracture qui vient, la fracture non pas numérique mais informationnelle.
Enfin de façon complémentaire aux hard skills où les IA génératives sont très fortes, le QI, il est important de développer des facteurs différenciants, les soft skills ou mad skills où l’homme peut garder un avantage face à la machine à l’image des QR et QE (quotient relationnel et quotient émotionnel).
Les Hard Skills (Compétences techniques) sont les compétences techniques, mesurables et enseignables.
Elles s’apprennent via une formation, un diplôme ou la pratique professionnelle, et peuvent être facilement évaluées (test, certification, portfolio, cas pratique…).
Exemples :
-
Savoir utiliser Excel, Photoshop, un crm comme HubSpot…
-
Maîtriser le langage HTML/CSS
-
Savoir faire un audit SEO
-
Parler couramment l’espagnol
-
Connaître les techniques de vente B2B
Les Soft Skills (Compétences comportementales) sont les compétences humaines, sociales et relationnelles.
Elles sont plus subtiles, souvent transversales, et conditionnent le savoir-être et la capacité à travailler en équipe. Elles seront de plus en plus décisives dans les environnements agiles, complexes ou hybrides.
Exemples :
- Écoute active
- Intelligence émotionnelle
- Esprit d’équipe
- Gestion du stress
- Créativité
- Leadership
Les Mad Skills (Compétences atypiques) sont des compétences hors normes, inattendues, souvent issues d’un parcours personnel original, qui peuvent créer une vraie différenciation.
Ce ne sont pas toujours des compétences professionnelles à la base, mais elles deviennent des atouts.
Elles témoignent d’une personnalité forte, créative ou engagée, capable d’apporter un regard décalé ou de casser les codes.
Exemples :
- Pratiquer l’improvisation théâtrale
- Avoir été champion(ne) d’escalade
- Créer un jeu vidéo ou une BD
- Avoir fait le tour du monde à vélo
- Être musicien(ne), mentaliste, youtubeur…