Comment réussir sa transformation digitale ? Pour répondre à cette question, j’ai eu le plaisir d’interviewer David Fayon (DavidFayon.fr), auteur de nombreux ouvrages sur Internet et le digital, et responsable écosystème innovation au sein du Groupe La Poste.
David est également le co-auteur avec Michaël Tartar du livre “La transformation digitale pour tous !” (25 euros sur Amazon) :
En parallèle, David est mentor pour certaines start-up notamment Titan data center et F2R2.
Voici ci-dessous une synthèse de notre échange, et à la fin de l’article, la vidéo complète de l’interview.
Sommaire de l'article
Comment innover et faire en sorte que ces innovations soient un succès ?
Innover peut paramètre simple, mais de nombreuses entreprises ont des difficultés à réaliser des innovations de rupture (un vrai changement), et se contentent d’innovations incrémentales (petites évolutions).
Il y a cela deux freins que l’on peut citer, la kodakisation et l’ubérisation.
La Kodakisation est une crispation interne : l’entreprise a tout le savoir-faire (ex: les brevets, les équipes…) mais n’ose pas changer de business model, il y a des querelles de chapelles…
L’exemple est Kodak qui avait tous les brevets pour passer à la photo numérique au lieu de rester dans l’argentique…
Mais les dirigeants n’ont jamais osé renoncer au business model très rentable de la photo argentique pour passer au numérique.
Certaines entreprises ne le font pas, car ils ont peur de changer de business model, de cannibaliser les offres internes, d’avoir des conflits entre dirigeants…
Pour éviter cela, il faut oser pivoter comme une startup, et passer d’un modèle économique et un autre.
L’ubérisation, c’est se faire dépasser par un concurrent qui est plus agile au niveau des businesss models, des technologies…
L’ubérisation, est donc perdre des parts de marché et être forcé de changer de businesss model face à un concurrent plus agile.
L’exemple type est Uber qui a concurrencé les taxis avec les nouvelles technologies (téléphone portable + géolocalisation) sans avoir une flotte de véhicules en propre.
Uber a bousculé le marché des taxis car ils ont repensé totalement le business model avec également l’annonce du prix d’une course à l’avance utilisant des data via un algorithme puissant.
Comment faire l’innovation en interne ?
Il y a deux possibilités,
- soit on met des équipes agiles et apprenantes.
- soit on rachète une société
Pour innover via ses équipes, il existe plusieurs méthodes.
Par exemple, il y a ce qu’on appelle, l’holacratie, des petites structures à la Google où finalement les entreprises constituent des cellules autonomes pour faire quelque chose et en même temps.
Les gros acteurs ont de la concurrence entre les équipes internes sur plusieurs sujets clés.
Innover via un rachat, vient souvent les entreprises qui n’arrivent pas à innover et qui en ont conscience.
Elles préfèrent acheter un concurrent (ex: Facebook avec WhatsApp et Instagram) avec la technologie ou le savoir-faire.
Donc, c’est une balance qui doit être fait entre le développement en interne ou le rachat dans l’optique d’accélérer le go to market, c’est-à-dire, la mise sur le marché plus précoce possible de ses produits et ses services pour disposer d’un avancer concurrentiel.
Il y a plusieurs méthodes pour innover, il y a la méthode C-K Concept-Knowledge qui a été mise au point par un Français de l’Ecole des Mines de Paris.
De ce fait, on a ces possibilités de sortir du Cadre et de penser différemment.
Pour innover, c’est aussi une question de mentalité, car l’innovation est beaucoup plus collaborative aujourd’hui, en faisant appel aux deux hémisphères du cerveau, le gauche et le droit et de l’équipe entière.
Le fait de raisonner en mode cerveau gauche et le cerveau droit permet d’être plus créatif tout en ayant une pensée cartésienne.
L’Université Américaine de Stanford l’a tout à fait compris puisqu’on peut, au cours de la scolarité, passer des maths à des philos puis faire de l’archéologie puis aussi de la physique quantique… il y a un passage très fort entre science dure et science molle
L’autre particularité de l’Université de Stanford, c’est qu’ils recherchent l’excellence dans différents domaines, pour apporter des visions originales.
La méthode CK (Concept-Knowledge) qui permet de penser en dehors du cadre, c’est-à-dire que pour concevoir un objet, on va raisonner différemment.
On repart souvent d’une feuille blanche afin de ne rien s’interdire, donc on ouvre toutes les portes et on les referme ensuite pour pouvoir aboutir à un projet.
Pour innover, on utilise beaucoup les méthodes agiles de type Scrum où il y a des échanges réguliers entre le donneur d’ordre, la maitrise d’ouvrage et puis celui qui fait la maitrise d’œuvre.
C’est un mode itératif qui part du besoin client.
Par exemple, si je veux innover et proposer un nouveau mode de transport, lors de la première itération on propose un premier prototype aux prospects en leur présentant cette solution possible à leur besoin (ex: on lui fait une planche à roulette avec quatre roues au lieu d’une voiture car ce n’est pas forcément son besoin ou la meilleure solution).
C’est le concept du MVP (Minimum Viable Product) :
Après, cela ne lui convient pas et il va faire des remarques du genre, il faudrait un siège, j’ai besoin de transporter d’autres personnes….
Suite à ces remarques, on va faire une deuxième version, puis une autre… jusqu’à arriver à l’optimal.
L’avantage de ces méthodes itératives c’est qu’elles permettent de faire des échanges réguliers entre la maitrise d’ouvrage et la maitrise d’œuvre pour se coordonner et tirer des enseignements à chaque étape.
C’est un peu l’opposé du mode de développement classique, notamment dans l’informatique, avec des méthodes en V :
- Un objectif partagé en interne
- Un cahier des charges,
- Une conception générale,
- Une conception détaillée
- Le développement
- Les tests unitaires
- Les tests d’intégration
- …
L’inconvénient de ces méthodes traditionnelles, c’est qu’il y a un effet tunnel.
On ne valide pas la pertinence du produit / projet rapidement auprès des clients, on peut dévier du cahier des charges ou du besoin initial...
Avec les méthodes “agiles, on est un peu plus créatif, avec des allers-retours fréquents avec le client final.
Ces méthodes permettent d’embarquer de nouveaux développements, des contraintes, intégrer des évolutions sociétales, des demandes du marché…
Ce qui fait que le produit final peut être très différent du produit de départ, mais ce produit va mieux correspondre au besoin.
Bien entendu, il faut faire des arbitrages par rapport aux coûts, aux compétences des équipes…
Une autre méthode proche, c’est le design thinking (voir ce dossier spécial).
C’est intéressant car cela permet de partir du problème, et d’arriver à une solution :
En design thinking, on donne vie aux idées et on les teste rapidement avec des prototypes ou des maquettes.
Plutôt que d’avoir d’un côté le marketing, la production, le commercial, les RH, les clients… on va faire un bouillon de culture avec toutes ces personnes pour créer et innover différemment.
Comment mesurer sa maturité digitale ?
L’objectif de ce modèle est de faire un diagnostic des forces et des faiblesses de toute organisation à un instant donné. C’est un peu le connais- toi, toi-même, préalable à toute transformation.
Une organisation fait son diagnostic à travers 6 leviers qui sont :
- la stratégie
- l’organisation
- les personnes
- l’offre
- les technologies et l’innovation
- l’environnement
Grâce à ces leviers, on peut savoir comment l’organisation se positionne au travers 115 indicateurs (63 pour les petites structures pour optimiser le temps du diagnostic) et ses forces et ses faiblesses.
Faire ce diagnostic est du temps investi pour justement savoir quels sont ses points forts, les singularités de son organisation et puis ce qu’elle doit améliorer et ce qu’elle peut prioriser notamment par rapport à son ADN et ses concurrents, partenaires, fournisseurs, clients.
C’est une méthode qui permet de connaitre la position d’une organisation à l’instant donné.
Une fois que l’on a réalisé ce constat, on peut élaborer une feuille de route de sa transformation digitale.
Mais attention, la transformation digitale ce n’est pas avoir un site Internet, être présent sur les réseaux sociaux…
Ce sont juste des conséquences ou un micro changement, la transformation digitale est aussi plus large que cela.
C’est par exemple la data : comment elle est récupérée, quels usages on en fait, où elles sont stockées…
Ce sont aussi des outils, par exemple des évolutions sur des outils existants qui sont un carcan technologique et organisationnel.
Par exemple, est-ce qu’on va être dans l’omnicanalité et le temps réel, est-ce que l’on peut faire du travail à distance ?
Il fait prendre en compte tous les aspects, dont les collaborateurs, car par exemple sont-ils équipés pour faire du télétravail ?
En cela, le COVID a eu un effet multiplicateur de l’accélération de la transformation digitale.
On a vu la différence entre les entreprises qui étaient préparées et celles qui étaient agiles, et les autres.
Celles qui n’étaient pas prêtes ont ramées et certaines ont même mis la clé sous la porte, surtout les entreprises qui n’ont pas commencé à effectuer leur transformation digitale.
Sachant que selon les secteurs d’activités, la transformation digitale peut être plus ou moins adaptée.
Dans les entreprises technologiques, il y a eu un basculement très rapide dans des outils comme Teams, Zoom…
Mais ce n’est pas uniquement l’outil de vidéo conférence (voir cette liste d’outils de logiciel de visio conférence) qui fait le télétravail, il y a une organisation à mettre en place.
Avec la crise de la COVID, il y a aussi le terme de résilience.
Est-ce qu’une structure peut s’adapter, est-ce qu’une structure peut-être robuste en cas de pandémie, de choc, de crise, de guerre ?
On a vu aussi les pénuries avec les microprocesseurs, l’approvisionnement en matières premières, la guerre en Ukraine,…
Les entreprises vont devoir naviguer de plus en plus dans l’incertain, et s’y préparer, c’est apprendre à être agile dans un contexte VUCA.
Par exemple, si une entreprise dans le domaine industriel n’a pas des composants qui arrivent, les chaînes de montage sont alors perturbées.
Est-ce qu’elle peut recourir à la production locale, des imprimantes 3D…. ou alors, est-ce qu’elle ne peut pas substituer la fabrication d’une pièce par une autre qui viendrait d’autre pays ou qui serait produite avec d’autres matières premières. Donc il y a toute une réflexion à avoir.
La transformation digitale n’est pas seulement du numérique, c’est aussi une transformation de l’organisation avec le numérique.
Quelles sont les tendances à anticiper pour l’année 2023 au niveau de la transformation digitale ?
Les fondamentaux est de faire une veille, de surveiller son environnement, d’écouter ses clients…
Il faut penser au cycle de vie des produits et services, depuis la phase de conception jusqu’à la phase de retrait de service.
La transformation digitale va s’accélérer pour les PME et les TPE, mais en pensant veille, respect du cycle de vie et en pensant à la réaction du client dans quelques mois, dans quelques années, particulièrement en observant les jeunes générations.
C’est tout cela qu’il faut accompagner, sachant aussi que la génération qui a le plus de pouvoir d’achat, ce sont les 60 ans et plus.
Et il y a aussi des marchés à exploiter et tout ceci dépend aussi du positionnement d’une entreprise, avec des réflexions sont au cas par cas.
D’où l’importance de faire son diagnostic de maturité avec le DIMM (Digital Internet Maturity Model) expliqué dans le livre, afin de voir ses forces et ses faiblesses sur ces différents leviers.
Il y a aussi la notion de décroissance.
On peut être favorable à la décroissance, ou bien, on choisit une croissance qui sera modérée, mais qui sera à la fois compatible avec les impératifs d’écologie et qui soit compatible justement à la création d’emplois.
Il ne faut pas une décroissance laquelle nous ferait trop retourner en arrière avec la pénibilité du travail par exemple.
La croissance doit être conciliable entre l’humain, la planète et l’écosystème faune / flore.
Voici la vidéo complète de l’intervention de David Fayon.