Dans notre série d’interview réalisées lors du Web 2 Connect 2012, nous avons eu le plaisir d’interviewer François Laurent, président de l’ADETEM (Association Nationale des Professionnels du Marketing) et animateur du blog “Marketing is Dead“.
Sommaire de l'article
1 – Est-ce que tu peux te présenter ?
Je suis à la fois coprésident de la l’ADETEM ,bloggeur, auteur de quelques livres au éditions Kawa, et je fais du consulting pour apprendre aux gens comment faire du marketing 2.0.
2 – En tant qu’auteur, quel est ton avis sur la situation du secteur de l’édition ?
Je pense que globalement, les éditeurs sont en train de rééditer sur l’édition numérique ce que l’industrie phonographique a fait sur la musique, c’est-à-dire se planter.
L’édition musicale n’a défendu qu’une seule chose : ses droits, le fric des actionnaires et de 2 ou 3 % d’artistes qui gagnaient des sommes monstrueuses et qui vont à l’étranger pour ne pas payer leurs impôts.
Or la majorité des artistes n’ont rien à faire de l’édition phonographique.
L’édition de livres fait exactement la même erreur.
Par exemple, je voulais acheter récemment un livre d’un auteur italien.
Il était à 14 euros en broché, 4 euros en poche, et seulement 30 % moins cher que le broché en epub c’est-à-dire le format de la tablette numérique, soit 10 euros.
Pourquoi payer si cher un livre qui n’a aucune matérialité, et sur lequel il n’y a aucun frais d’édition ?
Le prix de la version numérique est deux fois et demi plus cher que la version en poche, sans aucun apport (multimedia…).
Pourquoi est-ce le cas ? Parce que les éditeurs numériques prétendent qu’il faut défendre les libraires !
C’est encore un combat d’arrière-garde.
Je pense qu’il y aura toujours de bons libraires qui existeront parce qu’il y aura toujours besoin de conseils…
Mais dans de nombreux cas, quand il s’agit d’acheter un livre que l’on connait, on n’a pas besoin d’un monsieur qui vous les donne.
Ce qui importe, c’est le contenu des livres, pas le système de distribution.
Dans l’industrie musicale, ce qui importe ce sont les gens qui font de la musique, pas ceux qui s’en mettent plein les poches pour distribuer.
Je pense que certains éditeurs sont en train de creuser leurs tombes, et qu’il y a aura une nouvelle race d’éditeurs comme les Editions Kawa (voir l’interview d’Henri Kaufman sur l’édition numérique) qui sont en train de trouver d’autres modèles.
J’espère que certains grands éditeurs “traditionnels” sauront se ressaisir à temps.
La révolution numérique c’est revoir son business model et accepter de tuer sa poule aux œufs d’or.
Il y a beaucoup d’entreprises qui ont du mal à se remettre en cause, ou alors il faut faire une filiale un peu comme Sosh avec Orange qui a mis une filiale complètement séparée qui ne fait que du numérique.
Le problème est qu’il ne faut pas penser à l’évolution de son entreprise, mais à celle du consommateur.
Parce que s’il n’achète pas, on peut toujours lui cogner dessus avec toutes les lois Hadopi qu’on veut, cela ne marche…
En effet il y a toujours des moyens de contourner, et petit à petit le gâteau de ces entreprises diminue, les entreprises se concentrent pour réduire les coûts… mais elles n’ont pas le courage de revoir leurs modèles économiques.
Par exemple dans la musique on voit que MegaUpload va ressortir. Le bras de fer entre Web et Majors va recommencer.
Ça ne peut que ressortir parce qu’il y a un mouvement de fond.
Donc il faut absolument étudier l’évolution de la société et du consommateur et à partir de là faire un peu de marketing.
3 – Est-ce qu’il faut faire comme Amazon qui développe une liseuse électronique ? La Fnac a arrêté parce qu’elle voyait que c’était une voie sans issue de développer sa propre technologie. Faudrait-il se faire faire un site internet avec une méga boutique et vendre en direct sur internet, proposer aux libraires un outil pour vendre un catalogue de bouquins et une mini-imprimante pour imprimer les bouquins à la demande ?
Je pense qu’on pourrait faire des tas de choses.
Un autre problème de l’édition numérique est celui des standards.
La force de la musique c’est le mp3. Tous les supports lisent le mp3.
Dans l’édition numérique, il y a un standard et demi.
Il y a l’epub qui est accepté par toutes les liseuses sauf Amazon, et il y a celui du Kindle qui est accepté par Amazon et pas par les autres.
Il n’y en pas un qui est meilleur que l’autre donc il vaut mieux avoir un standard universel qu’on peut se passer.
Il y en a un, c’est le PDF qui n’est pas du tout adapté aux liseuses.
De toute façon, tous ces standards sont compliqués parce qu’il y a les DRM derrière, mais il existe d’excellents logiciels gratuits qui permettent d’enlever les DRM comme on veut, et à partir de là on peut se passer les bouquins comme on veut.
À partir de là, je ne sais pas ce que je leur conseillerais parce que chaque éditeur est différent, mais on peut leur dire de jeter un œil sur quelques business modèles à succès.
Par exemple l’idée de la longue traîne : aujourd’hui avec tous ces petits auteurs qui peuvent faire des tas de choses spécialisé il y a un créneau.
Il est possible de prendre en exemple ces succès d’auteurs et d’éditeurs qui font des livres à peu de diffusion mais super spécialisés.
Et puis on a vu arriver un mouvement gigantesque dans le monde entier qui est celui de la consommation collaborative, on va certainement voir des gens commencer à créer leur propre édition, leur propre site de diffusion…
Avec les livres numériques on voit beaucoup d’auteurs sortir leurs propres e-books, leurs propres formations vidéo, et je connais des bloggeurs qui maintenant créent leur propre plate-forme.
Pour l’instant, les éditeurs traditionnels n’ont pas encore pris le pas et il y a peut-être de nouveaux acteurs qui vont faire comme pour la musique et reprendre le marché.
On voit par exemple Surcouf qui a fermé récemment parce qu’ils n’ont pas su prendre à temps le virage du web.
Le problème de Surcouf est qu’ils avaient un modèle plutôt sympa qui était la foire. On trouvait tout.
PPR a commis l’erreur de transformer ce concept en un magasin “normal”.
À côté, la Fnac était un autre magasin normal et les gens ne comprenaient pas pourquoi il y en avait deux dans le même groupe.
4 – Est-ce que tu peux nous dire ce que vous imaginez à l’ADETEM au niveau du futur du marketing ?
Il y a plusieurs chantiers en cours.
Il y en a un simple qui va voir le jour l’année prochaine et qui se concrétisera lors des Journées Nationales du Marketing.
On va demander au meilleurs plumes de l’ADETEM de donner leurs visions sur leurs domaines de spécialité, et cette vision qu’ils vont rédiger en quelques pages va faire un gros pavé vu qu’on a 400 membres, et ce gros pavé sortira en décembre 2013 chez Kawa.
L’ADETEM a aussi un conseil scientifique avec énormément de gens de qualité, et tous ces gens ont depuis quelques mois commencé à réfléchir sur un chantier pour faire évoluer le marketing dans les dix ans à venir.
On a eu trois brain trust juste avant les vacances.
On a réuni d’autres personnes de l’ADETEM, et on a le 17 décembre une grande journée de réflexion et d’échanges pour essayer de mettre sur pied la liste de ces dix grands chantiers, et tout au long de l’année 2013, on va décliner ces dix grands chantiers.
Certains membres vont se saisir de chacun de ces chantiers et on va donner toutes les directions à suivre.
Ça peut intéresser les étudiants pour savoir vers quoi ils vont chercher, les jeunes pour savoir dans quel sens ils doivent lancer leur carrière, les grandes entreprises pour savoir dans quoi investir, les PME et les start-up.
Il y a une réflexion que j’entends depuis des années qui est de dire « le marketing c’est sinistre parce qu’on arrête pas d’annoncer qu’il n’a aucun pouvoir dans l’entreprise », et que les services de marketing ne sont pas importants.
D’un autre côté, on a l’impression que les gens font de plus en plus de marketing, et on est en train de se dire que le marketing n’a jamais été aussi présent, contrairement à ce qu’on dit, même si les services marketing ne sont pas les plus importants.
La pensée marketing commence à se diffuser, et je crois que le futur du marketing serait, en caricaturant un peu, la suppression du service marketing parce que c’est toute l’entreprise qui deviendra marketing.
Et ça je pense que c’est important.
J’interviewais récemment, lors de la nuit du marketing le patron du Bon Coin.
Le Bon Coin est une réussite, en France hormis le nombrilisme parisien, c’est plus important que Ebay.
Il me disait que le marketing ce n’est pas leur truc.
Par contre il nous expliquait que pour les premières petites annonces qu’ils recevaient, ils aidaient ceux qui les avaient passées à éventuellement les rédiger parce qu’il fallait qu’elles soient efficaces.
Ils faisaient une espèce de SAV, de CRM, et ils faisaient du marketing bien qu’il n’y avait pas un service marketing. C’était diffus.
La pensée de l’entreprise était tournée vers le consommateur.
5 – Si on veut en savoir plus sur toi et l’ADETEM, on va sur quels sites ?
Pour moi, il suffit d’aller sur mon blog MarketingIsDead
Pour l’ADETEM, il y a le site internet de l’association.